In Musae Veritas

26 octobre 2006

Singularité auto-récurrente dans la matrice spatio-temporelle


3 boules. Une pour mes 10 ans, une moyenne pour mes 20 ans et une grosse pour mes 30 ans.

A 10 ans, une camarade de classe secrètement amoureuse de moi frappe à ma porte et s'enfuit aussitôt en me laissant un bonbon au caramel. Puis je reçois une lettre enflammée qui sent la fraise, mais que je ne comprends qu'à moitié car écrite en coréen...

A 20 ans, secrètement amoureux d'une pianiste, je passe mon temps à répéter des morceaux déments de complexité et de dextérité, Images de Debussy, dans l'espoir inavoué de pouvoir atteindre un jour son niveau et pouvoir attirer son attention en brillant de mon art pianistique. Double déconvenue: non seulement je ne suis pas bon techniquement au clavier, mais en la recroisant plus tard dans la rue sans qu'elle me remarque, elle n'était pas techniquement jolie, ni au clavier, ni sur le trottoir!

A 30 ans qu'en est-il? Je sais que ma vie sentimentale est truffée d'histoires à dormir debout ou à coucher allongé, mais au moins une chose est claire, je sais que j'aurai toujours des choses à raconter pour marquer les nombreuses décennies que je passerai avec bravoure et dignité je l'espère. Dans le tissu adipeux de la vie quotidienne, je trace une courbe régulière qui, chaotiquement et sans prévenir, tombe sur des singularités auto-récurrentes. Ma matrice spatio-temporelle n'est pas inversible, elle est remplie de nombres tous plus premiers les uns que les autres, ce qui en fait un objet mathématique à dérivées infinies non déterministes.

Heureusement. Posted by Picasa

21 octobre 2006

Le soleil au centre


Lundi prochain, j'aurai 30 ans.
Age canonique s'il en faut, mais âge de transition.
Finis les feux de paille, à moi le buisson ardent.
Fini le culte de la capillarité surfacique, à moi la loi d'Archimède des profondeurs.
Finis les micro tremblements et les mini stupeurs, à moi les ondes gamma cosmiques et les mouvements tectoniques!

Je crois à la réincarnation à l'envers, c'est-à-dire que je suis convaincu d'avoir été un objet dans une vie antérieure, mais j'ai du mal à croire qu'une fois que je disparaîtrai de la surface de la terre, un autre élément me remplacera dans une vie ultérieure... je crois être le dernier de la lignée, mais ça ne me chagrine nullement, cela me donne d'autant plus de motivation de finir la longue série en beauté. En fait, je suis convaincu que le premier objet qui a ouvert le bal était un soleil. Pas LE soleil, UN soleil. Un parmi les autres, mais un rayonnant, puissant, brûlant et vivant, vomissant ses gerbes de lave sublimées, un qui a rassuré des peuples entiers qui ont cru un jour en moi et qui m'ont idolâtré comme une divinité. Posted by Picasa

18 octobre 2006

La pièce de 50 centimes

C'était il y a 20 ans, quand j'avais 10 ans, que j'aimais rouler sur les rues cabossées de Séoul avec mon vélo de course un peu trop grand pour moi, mais fort de ses 3*7=21 vitesses qui me permettaient de gravir les pentes les plus ardues.

J'étais libre à ce moment-là: la preuve que je l'étais, est que je ne me rendais même pas compte que je l'étais. Je m'arrêtais dans les épiceries pour acheter des glaces à l'eau l'été, des petites brioches fourrées à la pâte de haricots rouges sucré l'hiver. Je regardais les vitrines où les dernières baskets Adidas ou Fila me faisaient rêver, et je rejoignais mes copains devant l'école pour aller jouer aux caïds avec nos skate boards.

J'étais gentil aussi à ce moment-là. Avant de rentrer à la maison, je m'arrêtais dans une papetterie située à 150 mètres grand maximum de la maison, je donnais à la dame une pièce de 50 centimes, et j'utilisais le téléphone de la boutique pour appeler ma mère pour lui dire que je rentrais et que je serais là dans 1 minute. Je lui apportais dans un sac plastique le fruit de mes emplettes domestiques: une carotte, un rouleau de papier toilette, des oeufs.

C'était le bon temps.

08 octobre 2006

Accord parfait


Je revenais d'un long voyage, ayant vu les couleurs inconnues du bleu Majorie, ayant goûté aux 49 épices subites du Raz el Hanout, ayant écouté des rythmes à 5 temps sur les peaux de chèvre séchées, ayant touché le sable rouge et volatile de l'Atlas, ayant senti l'âcre fumée des viandes d'agneau rôti.

J'avais laissé à mon départ pas mal de notes de mélancholie perdues dans le vide, quelques accords inachevés, quelques distorsions harmoniques. Je suis content d'être revenu à Paris, car j'ai ramené de mon voyage la portée à 5 lignes qui me permet de positionner mes notes avec précision. J'avais trouvé mon échelle relative, celle qui me permet de plaquer mes accords majeurs. Posted by Picasa

07 octobre 2006

L'école buissionnière



Quand j'étais gamin, j'habitais Séoul. J'allais du lundi au vendredi à l'école française, et le samedi, alors que mes camarades de classe profitaient d'une grasse matinée bien méritée, je me retrouvais dans les rangs serrés de l'école coréenne, parmi 59 autres bambins obéissants et disciplinés. On m'appela rapidement le 'TOYO-MAN' ou en français 'Le gars du samedi'. Je passais naturellement pour un autiste, moi le brillant premier de classe chez les français, avec mon col de chemise violet qui dépassait du pul jaune poussin, moi le dernier de classe, cancre parmi les cancres chez les coréens, qui n'arrivait à lier d'amitié qu'avec les plus brutaux de la classe qui testaient leurs nouvelles prises de catch sur moi.

Quelques fois, je tentais le bluff, en inventant des formules de mathématiques plus ou moins savantes et imaginaires, qui n'avaient de cohérence que l'esthétique qui en dégageait sur la feuille de papier, sous la mine déconfite de mon crayon HB.

Je finis donc par fuir, et je me retrouvais dans la colline à côté de la maison, arpentant les sentiers battus et abattus, et évitant avec grande application de croiser quelque vieillard respectueux qui m'aurait harponné et accusé à raison de sécher les cours. Finalement, la colline déserte était bien plus peuplée que je ne le pensais, et il fallait ruser pour ne pas se retrouver nez à nez avec quelque promeneur solitaire.

Je trouvais au bout de quelques heures une place vide au milieu d'une déchetterie désaffectée. Je posais mon cartable et m'asseyais dessus, regardant fébrilement défiler sur ma montre les secondes qui duraient des heures. Le soleil atteignait rapidement son zénith de croisière, dardant ses rayons sur ma petite chevelure noire coupée en bol. Cette surchauffe cérébrale finissait par me faire saigner du nez. Mais tout compte fait, ça en valait le coup, car cette hémorragie nasale m'attirait la compassion de ma mère qui devint la complice de mes autres journées d'école buissonnière. Posted by Picasa